18h03
Je levai les yeux vers le ciel. Le soleil brillait, nous étions en fin d'après-midi, à l'extérieur du camping. La journée était parfaite pour cette première semaine de vacances entre amis. J'étais avec une proche, Noémie, et mon copain, Gabriel, et nous nous promenions tranquillement avec d'autres camarades dans l'enceinte du complexe. Nous avions un mobile-home, mais il y avait aussi des appartements pour les vacanciers, passant de la campagne au bitume.
18h13
Sur la route goudronnée où nous marchions se trouvaient beaucoup de touristes, signe du prestige du camping ainsi que de la qualité des services sur place. Il était réputé dans toute la France, et était un lieu de choix pour les vacances, proposant tout budgets Nous étions très satisfaits depuis notre arrivée. Actuellement, nous allions en direction de l'accueil pour commander notre repas pour ce soir. Une connaissance que j'avais croisée me demandait des nouvelles.
— Alors, comment se sont passées les épreuves anticipées ?
— Ça peut aller. Et toi, tu t'en es bien sortie ?
— Ma correctrice était horrible ! se plaignit-elle.
18h25
Après avoir discuté pendant quelques minutes, nous étions arrivés à l'accueil. Gabriel et Noémie passaient la commande, pendant que je regardai les affiches accrochées au mur avec curiosité. Il y avait beaucoup de publicités ainsi que des réductions, mais rien qui ne m'intéressait vraiment. Mais mes yeux accrochèrent un papier qui affichait un message, rédigé à l'ordinateur en gros caractères gras, qui indiquait :
CONTRÔLE DES ÉTRANGERS :
Samedi, dix heures
Dimanche, dix-neuf heures
Une bouffée de chaleur s'empara alors de moi, et je regardai Noémie avec une lueur de panique dans les yeux. Pour autant, je dû me calmer rapidement afin de ne pas trahir l'angoisse qui commençait à s'emparer de moi et de ne pas devenir suspecte. Noémie n'était pas française, elle venait d'un pays de l'Europe de l'Est.
En effet, depuis quelques mois, la nouvelle politique de l'État était de repousser au maximum les étrangers, quitte à employer des mesures radicales. Les contrôleurs n'hésitaient pas à renvoyer les migrants dans leur pays, voire même, s'ils luttaient, à les emprisonner ou les tuer. Il n'était plus question de les laisser vivre dans la rue, et encore moins dans une maison ; maintenant, il fallait les chasser à tout prix. Il suffisait qu'une personne ne montre pas ses papiers d'identité pour qu'elle soit renvoyée. A l'occasion, Noémie avait changé de prénom, car son ancien ne sonnait pas suffisamment français pour qu'elle paraisse innocente aux yeux de tous.
Peu de personnes étaient en accord avec ces nouveautés, mais personne n'osait se soulever de peur du jugement des autres ou de subir des peines eux aussi, car la loi était très sévère dorénavant : personne n'avait le droit de protéger les étrangers ou de se soulever face aux contrôleurs.
18h41
J'attendais qu'ils finissent de commander le repas avant de leur parler de l'affiche. Dans un coin un peu isolé, je leur expliquai la situation, et nous fûmes rapidement d'accord pour décider de partir aussi vite que possible.
— Quand nous aurons fini nos bagages, nous passerons par la baie vitrée, à l'arrière du mobile-home. Si on ferme bien le rideau, puisqu'il est opaque, même si un contrôleur rentre, on aura le temps de courir à l'abri des regards, dans la forêt.
18:52:05
J'arrivais au mobile-home avec Noémie et en quelques minutes, nous fîmes nos bagages, sans pour autant surveiller l'heure.
18:58:22
Le stress m'envahissait petit à petit. Mon cœur battait à toute vitesse, et à chaque fois que je n'arrivais pas à trouver un objet rapidement et que je perdais ne serais-ce qu'une seconde, je m'en voulais d'être aussi lente et sentait ma respiration s'accélérer. Je n'étais vraiment pas bien, je sentais la chaleur émaner de mon corps et j'avais l'impression que mon cœur allait sortir de ma poitrine à force de cogner aussi fort. J'étais presque prise de nausées tellement j'avais peur pour mon amie. Et si nous ne finissions pas à temps ? Qu'allait-il se passer ?
18:59:47
J'allais chercher Noémie qui prenait ses dernières affaires dans la salle de bain. Nous traînions un peu trop, et malheureusement, alors que nous avancions dans le couloir, en direction de la baie vitrée à gauche du bâtiment, un contrôleur dans sa combinaison apparut à l'entrée.
19:00:11
Paralysée par le stress, je ne pouvais plus faire un seul mouvement. Noémie restait à côté de moi. Ma respiration était complètement bloquée, je tenais à peine sur mes jambes, et si l'angoisse ne m'avait pas aidée à rester dans la même position je me serais probablement écroulée par terre. Nous étions perdues. S'il était là, Noémie allait devoir partir ; et, la connaissant, elle ne se laisserait pas faire. Je ne voulais pas imaginer le pire, je n'osais pas. A force d'y penser, j'étais sur le point de fondre en larmes, je sentais mes yeux briller sous l'émotion.
19:00:57
Pourtant, il passa à côté de nous, visiblement décider à aller voir dans le salon dans un premier temps. Il nous demanda simplement de ne pas bouger.
Il partit dans une pièce voisine, et je repris mes esprits. Noémie était toujours aussi paralysée. Alors, prise d'un élan d'adrénaline, je la poussais en direction de la baie vitrée en vitesse.
— Courage, soufflais-je. Je te rejoins après, je m'occupe de te couvrir.
19:02:34
Je la serrai dans mes bras et après cette brève étreinte, elle partit en courant, et je fermais en partie le rideau derrière elle, sans le faire entièrement pour que ça ne soit pas suspect. Je m'occupais aussi, en silence, de clore la baie vitrée.
Mon cœur se remettait à battre normalement, progressivement. J'étais soulagée. Elle était normalement sortie d'affaire, je n'aurai plus qu'à la rejoindre dans quelques minutes au point de rendez-vous.
19:03:10
Le contrôleur sortit de la pièce. Il voyait clairement que quelque chose ne tournait pas rond. Sans m'adresser la parole, un fusil à la main, il s'approcha de la baie vitrée en me contournant. Je n'étais pas capable de prononcer un mot ni de faire un mouvement. Toute mon angoisse venait de revenir en un seul instant, c'était une véritable montagne russe pour mes émotions. Mon corps ne supportait pas tout ce stress, je me sentais au bord du malaise.
19:03:24
Quand il ouvrit la baie vitrée en un mouvement brusque, je ne m'attendais pas à voir Noémie au loin, et encore moins son corps chuter après un coup de feu. Je mis plusieurs secondes à réaliser, ébahie. Mon monde entier venait de s'écrouler. Je savais, simplement en regardant son cadavre, que ce traumatisme serait incurable. J'étais horrifiée par ce qui venait de se passer, par la cruauté dont les humains pouvaient faire preuve entre eux. Je n'avais jamais été témoin de ce genre de choses, alors j'étais tout simplement terrifiée. Lorsque je réalisai ce qu'il venait de se passer, le contrôleur était déjà passé à autre chose. Incapable de supporter les événements, je m’évanouissais.